Alice Butterlin: "Le rêve est un des derniers territoires de liberté"
Une interview avec Alice Butterlin, l'autrice du livre Les Heures Défuntes, pour parler musique et monde des rêves.
Alice Butterlin est l’autrice du livre Les heures défuntes, sorti en 2022 chez la maison d'édition Le Gospel. L’idée des Heures défuntes, c'est 14 chapitres, pas forcément connectés les uns avec les autres. La particularité de chaque chapitre est de mettre en valeur un ou une artiste, de musique, mais pas que.
Elle était la semaine dernière en rencontre littéraire à la Maison-Poème, un nouveau lieu co-géré par les Midis de la poésie et le festival FrancoFaune. Comme c’est écrit au dos du livre : “née en France, Alice Butterlin réside actuellement à Bruxelles”. Donc il était assez facile de la recevoir dans le studio 2 de Radio Panik où on a parlé de rêves, d’écriture et des Sims 2.
Elle nous a même fait une lecture d’un bout de chapitre qui parle de Mount Eerie. Elle nous a présenté également un double coup de cœur : la musicienne parisienne Lila Ehjä (plutôt cold wave) et sa sœur Marie Mauve, photographe expérimentale.
On va pas se mentir, on a beaucoup parlé de musique avec Alice. Tant et si bien que le format habituel de la newsletter de The Locomotion s’en trouve chamboulé. Retrouvez ici la retranscription de l’entretien avec des réflexions sur Broadcast, Eliott Smith, le Syndrome de Raynaud, Sabbath Assembly, les WASP et la Process Church.
La playlist augmentée d’Alice Butterlin
Pour cet épisode, la playlist est tellement augmentée qu’il y a même une playlist Spotify de tous les morceaux ou les groupes qui sont cités dans Les heures défuntes. Attention, ça démarre sur les chapeaux de roue.
C'est ton premier livre ?
Ça fait un petit moment que j'écris, mais plutôt dans un ton journalistique. C’est la première fois que je fais un format aussi libre qui mêle aussi bien la fiction, des choses plus théoriques et des moments très journal intime. Je ne me suis rien refusé. J’ai essayé d'aller à contre-courant du format journalistique sur lequel je travaillais pour des médias plus classiques.
Le Gospel
Le livre a été écrit en sachant qu'il allait être publié dans la maison d'édition le Gospel, créée par Adrien Durand. Le Gospel était - et est toujours - un fanzine de musique. Il a souhaité créer une maison d'édition annexe et m'a proposé d’écrire ce recueil sur la musique en me laissant libre sur le ton et le format. Cela a quand même été assez collaboratif entre nous. Je venais avec des idées, j'écrivais des textes que je lui envoyais et puis on en discutait, de manière assez spontanée. C'est chouette d'être au début de de ce projet de maison d'édition. Je pense que son souhait est de publier des œuvres inclassables qui parlent de musique et de culture underground.
Broadcast
C'est le premier texte que j'ai écrit dans ce recueil. Mon idée de départ était de parler de musique, du rêve et de l'inconscient parce que le territoire du rêve m'intéressait pour plein de raisons. Broadcast est le premier groupe qui m'est venu à l'esprit quand je me suis demandé quel genre de musique j'avais envie de convoquer ici. C'est un groupe dont la musique me suit constamment, qui est toujours dans mes oreilles ou dans mes enceintes. Je pense que c'est un groupe qui permet aussi beaucoup de libertés narratives. C'est un groupe qui convoque beaucoup de d'images oniriques. Pour moi, c’est la quintessence de la musique du rêve.
Je ne me rappelle presque jamais de mes rêves. Toute la littérature, le cinéma qui parlent de rêve ont tendance à me à me passer un peu au-dessus. C’est une frustration intense parce que quand je me rappelle de mes rêves, une fois tous les six mois, ils sont d'une banalité à toute épreuve.
Peut-être qu'en fait tous les rêves sont d'une banalité confondante. Je pense qu'on ne pourra jamais aller vérifier si les gens qui te racontent leurs rêves sont en train de te mentir copieusement et qu'en fait ils rêvent du même supermarché, des mêmes slips sales et du même verre de jus d'orange qui a pas été lavé la veille. Moi ça dépend. J'ai des périodes où j'ai des rêves plus fleuris que d'autres. Là, en l'occurrence, j'ai écrit ce livre à une période où je n'allais pas bien du tout psychologiquement. Quand je relis certains passages, je me dis que ça n'allait pas fort. Dans les moments de dépression, ce qui me sauve, c'est la musique et le sommeil. Donc, je dors beaucoup, j'aime beaucoup dormir. Je suis partie de cette idée que le rêve est un des derniers territoires de liberté.
J'aimerais parler vite fait du chapitre central.
J’ai le syndrome de Raynaud. C'est un problème de circulation sanguine. Les extrémités du corps n'ont plus de sang qui circulent, ce qui fait qu'on a les mains et les pieds qui deviennent bleus, blancs, violets… qui sont totalement engourdis ou qui gonflent. Les mains peuvent tripler de volume, c'est sympa. C’est un truc assez chiant et j'avais envie d’en parler. J’ai eu l'idée de faire “Les variations sur Raynaud” avec trois nouvelles fantastiques au milieu du livre qui partent de cette difformité des mains et des pieds. Je voulais essayer de m'amuser d'un truc qui me fait quand même souffrir et me complexe pas mal.
La bande originale des Sims 2
Les Sims 2, voilà un jeu auquel j'ai beaucoup joué en école primaire. Un des seuls jeux vidéo auquel j'ai joué sérieusement. Pour beaucoup de de gens de ma génération, c'est un jeu qui a été très populaire dans les années 2000. Et ce qui est intéressant c’est que la bande originale a été composée par Mark Mothersbaugh de Devo. Je dis dans le livre en plaisantant que c'est un des albums que j'ai dû le plus écouté de ma vie, par inadvertance. Ce sont des morceaux qui se sont imprégnés à vie dans mon cerveau sans que j'ai quoi que ce soit à dire. J'ai découvert Devo plus tard. C’est ma mère qui m'a fait découvrir. Donc shout out à ma mère.
Eliott Smith
C'est un musicien qui est très important pour moi, vers lequel je me tourne dans mes propres moments de flottement, dans mes moments de vide. Il représente parfaitement ce vide qui il y a en chacun d'entre nous. C'est dur de parler d’Eliott Smith parce que c'est quelqu'un qui est important pour beaucoup de gens. Je ne voudrais pas ternir toute la fragilité de sa musique. J'ai l'impression quand j'écoute certaines de ces chansons, quand je lis certaines de ces paroles, d'avoir des révélations qui sont toujours très subtiles. Ce sont des choses qu'il faut parfois relire plusieurs fois, avec beaucoup de sous-textes et un sens de la mélodie qui me bouleverse. Je crois que c'est vraiment ce j'aime dans la musique.
Sabbath Assembly
J'ai voulu évoquer ce souvenir d'un été passé dans une famille américaine dans le Wisconsin. Dans ce chapitre, j'aborde ma découverte à 11 ans d'un certain puritanisme américain et de la famille WASP typique.
La Process Church est un groupe religieux des sixties à Londres, une secte, qui est devenue mythique et qui a influencé de nombreux artistes et musiciens. Il y avait beaucoup de graphistes et d'artistes qui faisaient partie de ce groupe religieux. Donc toute l'imagerie est vraiment super belle. C’est fascinant. D'ailleurs, il y a un super documentaire qui est sorti. Et donc, le projet de Dave Nuss de Sabbath Assembly était d'enregistrer des chants sacrés de la Process Church qu'il avait retrouvés. Il avait rencontré Timothy Wiley, qui faisait partie de la secte quand il prévoyait de sortir un bouquin là-dessus : Love Sex Fear Death [ndlr: The Inside Story of The Process Church of the Final Judgment, sorti en 2019]. Il lui a filé un ouvrage d’hymnes sacrés et il a mis ça en musique. C'est assez beau. Tout n'est pas génial mais le premier album est bien.
Lila Ehjä & Marie Mauve
Je voulais vous parler d'une amie qui s'appelle Lila Ehjä qui a sorti son premier EP, yö, en 2021. Elle compose et elle enregistre tout chez elle. Elle joue de tous les instruments et elle construit ses morceaux avec une pédale de loop. Je voulais aussi vous parler de sa sœur qui s'appelle Marie Mauve et dont les photos m'inspirent beaucoup. Elle fait de la photo expérimentale argentique, donc elle joue beaucoup avec différentes pellicules périmées, différents bains pigmentés, de la double exposition… Elle fait des choses vraiment vraiment très belles et étranges. Voilà deux amies qui font des choses différentes mais dont le travail m'inspire beaucoup.
Dans le prochain épisode de The Locomotion : Hatis Noit
Je suis allé interviewer la chanteuse japonaise Hatis Noit quand celle-ci jouait au BRDCST Festival à l’Ancienne Belgique. C’était incroyable. Si vous voulez faire vos devoirs pour vous préparer, vous pouvez écouter son album, Aura, sorti l’année dernière sur Erased Tapes.
Pas d’agenda sur la newsletter, cela restera une exclusivité pour Radio Panik. Notez simplement que c’est bientôt les Nuits du Botanique, la prog est ouf. L’objectif est de se faire inviter à un ou deux trucs parce que c’est pas donné.
On n’oublie pas que les épisodes sont diffusés en version courte sur Spotify grâce à Radio Campus Paris. Cette semaine, on partage celui de Florist et l’épisode avec Alice Butterlin suivra fin avril. En attendant, voici le dernier en date avec Cécilia da Colonia.