Cecilia da Colonia: "Il faut accepter ce qu'on est et ce qu'on fait"
Une interview fleuve avec Cecilia da Colonia et ses recommandations culturelles pour le cinquième épisode de The Locomotion
Cecilia da Colonia est un.e auteurice-compositeurice-interprète queer de Paris. Iel vient tout juste de sortir démos #1, son premier EP en français avec quatre morceaux de folk-punk dedans. Cecilia da Colonia a grandi à Grange-le-Bourg, “un petit village de 300 habitants, à 20 minutes de Châlon-sur-Saône” mais habite maintenant à Paris.
La semaine dernière, Cecilia da Colonia est venu.e s’entretenir avec nous dans une émission fleuve enregistrée pour la première fois de l’histoire de The Locomotion dans les studios de Radio Campus Paris. Iel est venu nous parler en tête à tête de de son amour pour l’esthétique DIY (“Do It Yourself”) ou le mot “crafty”, du changement dans sa communication (envoie des sous, Substack) et des références au milieu drag et à la culture mainstream.
Diffusée la semaine dernière à Bruxelles, l’émission est disponible en podcast sur le site de Radio Panik. L’interview de Cecilia da Colonia sera rediffusée sur Radio Campus Paris (93.9 FM), le 17 mars à 22h30, couplée avec l’entretien de Ventre de Biche.
J’ai résumé tout ça ici avec les traditionnelles cinq questions à Cecilia da Colonia mais j’ai aussi rajouté ses recommandations culturelles faites tout au long de l’émission. Pour finir par l’agenda et quelques nouvelles (on est sur Spotify!).
Il est important de bien connaitre la discographie des EP de Cecilia afin de bien comprendre la première question. Iel a d’abord sorti The Diary of Cecilia Pt. 1 en 2020. Vite suivi par des reprises de noël, The Xmas Party Of Cecilia, toujours en 2020. Cecilia da Colonia vient tout juste de sortir, démos #1, son premier EP en français.
Cinq questions à Cecilia da Colonia
Pourquoi tu n'arrives pas à finir les séries que tu commences?
Ça, il faudra en parler avec mon psy. J’aime bien lancer des concepts mais au bout d'un moment, je me lasse. Du coup, je ne fais jamais de numéro 2. Je pense que pour Démos, je vais réussir à en faire un deuxième. J'y travaille en ce moment. J'ai des compos, il faut juste que je prenne le temps de les enregistrer.
Pour communiquer à propos de ce nouvel EP, tu as lancé une newsletter ?
Exactement, via un outil qui s'appelle Substack que j'aime beaucoup. J’ai toujours un rapport un peu compliqué aux réseaux sociaux qui demandent beaucoup d'engagement. Cela peut être lourd pour la santé mentale. Je cherchais une manière de communiquer avec les gens, de continuer à partager ma musique, mais en m'affranchissant des codes des réseaux sociaux. Avec Substack, tu mets un peu ce que tu veux, sous la forme que tu veux.
Dans cette newsletter, il y a une belle phrase où tu dis que c'est plus facile de toucher les gens dans ta propre langue.
Exactement. C’est LE gros changement. Au début, l'anglais aide à se désinhiber pour écrire ses premières compositions. Pour le premier EP, c'était un projet dans la typologie d’Avril Lavigne, dans la continuité de mon personnage drag, inspiré de la culture teen américaine, qui marchait bien mais qui ne racontait pas grand chose. Même si ce n'était pas un pastiche, le résultat était très référencé, moins intime et moins personnel parce que je m'exprimais à travers ce personnage.
J’avais envie d'aller un peu plus loin dans mon expression et dans mon écriture. J’ai compris que je ne pourrais pas atteindre la subtilité de ce que je voulais en anglais. Cela a été un long travail, d'écouter beaucoup de choses pour m’en inspirer, tout en n’étant pas oppressé.e par de belles écritures et de garder aussi cette naïveté que je pouvais avoir dans ce que j'écrivais auparavant. De réussir à la traduire tout en ajoutant de la subtilité, surtout raconter des choses un peu plus intimes.
La composition, c'est quelque chose d'assez naturel qui me plaît et que je fais régulièrement. Par contre, au moment où je dois chanter, ma voix n'est pas un instrument que je maîtrise. Donc je fais souvent beaucoup de prises, suivies de retours et de de conseils d'amis. C’est dur d'être vraiment satisfait.e de ce que je fais. Et c’est pour cela que j’ai intitulé cet EP « démos », après avoir passé un an à réenregistrer constamment. Le résultat n’a toujours pas une qualité que je qualifierais de professionnelle. Je l'ai mixé moi-même et je ne l'ai pas fait masteriser. Mais je préférais le partager plutôt que de rester dans l'éternelle insatisfaction.
Est-ce que tu fais du punk acoustique ou de la folk punk?
Le premier EP, c'était de la pop punk DIY : c'est-à-dire Avril Lavigne qui n’aurait pas d'argent. Pour le deuxième, il n'y a pas plus de grosses guitares électriques, ni cette innocence adolescente que peuvent avoir les groupes comme Green Day. Je ne pouvais plus appeler ça du pop punk. Encore une fois, c'est toujours la création qui précède l'appellation. Comme j’ai composé les morceaux avec ma voix et une guitare acoustique, cela crée de la folk.
Comment on fait pour faire de la musique de manière extrêmement indépendante, ultra DIY et avoir quand même des références très mainstream?
On est DIY pas forcément par choix, mais par la force des choses. D'ailleurs si Universal Publishing veut bien me signer en édition, il n'y a pas de souci : moi je suis open. Je viens d’une culture mainstream mais j’aime l’esthétique du DIY. Je trouve ça beau d’entendre le côté crafty dans la musique. On trouve également du mainstream qui s'inspire du DIY, comme l’album folklore de Taylor Swift, qui a un côté crafty qui dégage une certaine sincérité. Est-ce que c’est une vraie sincérité ou pas ? Je ne sais pas mais en tout cas, le son est pur. La sincérité du DIY correspond surtout à la musique que je fais. Même si j'écoute beaucoup Mariah Carey, Charli XCX ou de la K-pop, ce n'est pas de la musique que je fais ou que je suis en capacité de faire. Il faut parfois accepter ce qu'on est, ce qu'on fait et qu’on ne maîtrise pas toujours sa production. C'est un mythe d'avoir l'impression qu'on choisit ce qu'on crée parce qu’en fait : on crée ce qu'on crée.
Les recommandations culturelles, hyper belles et hyper sincères, de Cecilia da Colonia
Qui dit interview fleuve dit références alambiquées. Voici quelques liens pour découvrir l’univers étendu des influences de Cecilia da Colonia.
Nashville
C'est une série que j'aime beaucoup qui m'a fait découvrir le monde de la country - toujours un peu mystérieux pour nous européens et français - mais aussi les dynamiques dans l'industrie de la musique. J'aime bien les moments où on les voit écrire des chansons, ça m'inspire souvent.
“Trois accords et la vérité”, c'est une citation de Nashville. C'est ce que diraient les purs et durs de la country, en mode “on ne s'emmerde pas avec de la prod”. Même si c’est faux : c’est quand même très produit la country, surtout en ce moment. Mais la base reste la composition. S'il n'y a pas les bons accords et un discours un peu sincère, le résultat est bancal.
Chris Knox
Chris Knox, c'est mon life goal de musique. Vraiment épuré. Une de ses chansons les plus connues, c'est une chanson où il fait le rythme en tapant sur sa guitare. Il a enregistré toutes les guitares sur un enregistreur 8-piste. Cela illustre bien le “trois accords et la vérité” car la chanson est très simple, harmoniquement, mais elle est aussi hyper sincère et hyper belle. Elle s'appelle Not Given Lightly. Je la connais parce que ça a été repris par un groupe un peu émo des années 2000 pour une scène hyper mythique dans Hartley Coeur à Vif.
Sister Act, acte 2 ou Rock'n Nonne 2 : De retour au couvent au Québec (Sister Act 2: Back in the Habit en VO)
Mon teen movie préféré - je l’ai regardé pour la énième fois la semaine dernière - c’est Sister Act 2. A chaque fois je redécouvre à quel point Lauryn Hill est une personne extraordinaire. Pas pour les impôts, mais plutôt pour sa voix.
Mais sinon c’est Bring It On (American Girls en VF) avec Kirsten Dunst.
Veronica Mars
Ma série pour ados préférée, c'est Veronica Mars, évidemment, parce que c'est une sacrée queen.
Hubert Lenoir
J'aime beaucoup Hubert Lenoir, aussi une belle inspiration. Surtout son dernier album. J'aime bien son attitude et son rapport à la musique. C'est un génie musical mais qui sait que parfois il ne faut pas trop dégobiller son génie. Il faut rester simple. Il donne l'impression d'être très DIY. Mais la base est là : ses intentions de voix sont incroyables. Il y a une couleur à cet album qui s’appelle “Musique directe” en référence au mouvement canadien de cinéma. C'est hyper beau et c'est hyper sincère. Les paroles me touchent grave. C'est maîtrisé tout en donnant l'effet d'un truc très crafty que j'aime beaucoup.
Tegan & Sara - I Think We’re Alone Now
J'ai découvert Substack grâce aux artistes Tegan et Sara, qui en ont un sous forme de lettres qu'elles s'envoient en alternant “chère Tegan”, “chère Sara”. Elles parlent de tout, de ce qu'elles font, elles y mettent des bouts de démo, il y a des discussions un peu profondes. Il y a quelque chose de l'ordre du blog, à l'ancienne : un truc très libre, pas formaté.
The Xmas Party Of Cecilia
J’ai trouvé ça marrant de le faire un EP de noël parce que c'est un exercice de pop star. C'était surtout avec des copains et copines plein.e.s de talents du milieu drag.
La chanson Blue Christmas [ndlr: diffusée pendant l’émission], c'était avec Juda La Vidange, un drag king que j’aime beaucoup. Très important dans la scène king, vous avez pu l'apercevoir dans la première saison de Drag Race France. Je lui ai proposé de faire ce morceau et il était très enthousiaste. En civil, Juda la Vidange c'est Lou du groupe Toybloid, qui à cet esprit très pop punk, un peu Superbus.
Travis Barker
Dans mon dream band, j'appelle Travis Barker. Mais peut-être plus pour voir Kourtney…Franchement, c'est un super batteur et il a produit le dernier album d'Avril Lavigne qui est vraiment quali.
Miley Cyrus pour les backing vocals. Parce que je pense que ça doit être sympa d'être en studio avec elle. Et puis, Stéphane à la basse.
Rodjitsé
Stéphane, c'est le seul qui est sur mes trois EPs. Il fait les batteries sur le premier, il a un feat. où il chante sur l'EP de Noël et il fait des basses sur deux titres du dernier.
C’est le sang.
Rodjitsé est le groupe du multi-instrumentiste Stéphane Odrobinski. Après deux EPs de rock psyché, disponible sur les plateformes, il enregistre en ce moment un disque plus folk, premier d'une série consacrée à différents genres musicaux. Rodjitsé sera de retour sur scène pour un concert exceptionnellement cosy à la Cidrothèque le 22 avril, à Schaerbeek. Plus d’info à venir.
L’agenda bruxellois: Listen et BRDCST
Focus sur deux festivals pour lesquels j’aimerai bien choper des accreds pour interviewer des gens tant leurs programmations correspondent à la ligne éditoriale de The Locomotion. Voyez par vous même
Le Listen Festival se tiendra du 29 mars au 2 avril dans de nombreux lieux partenaires dans la capitale (Fuse, Botanique, C12, Pilar…). L’orientation est plutôt électronique et mélange expérimentale (Ana Roxane en showcase à Reset, co-organisé avec le label Stroom) et gros boom-boom (Coucou Chloe et Mechatok toute la nuit du 31 mars au Botanique). La soirée qui sort le plus de lot est évidemment leconcert organisé par le Botanique dans l’église Notre Dame de Laeken avec la musicienne d’ambient Malibu et la pianiste Marina Herlop.
Le BRDCST Festival, un festival multi-genres et polyglotte qui se déroule à l'Ancienne Belgique du 7 au 9 avril. Trois jours de festival avec entre autres du rock psychédélique turc (Gaye Su Akyol), de l’ambient de stars (Tim Hecker), le daron de la dubstep (Kode9), de la folk japonaise (Ichiko Aoba), de l’électro gantoise (Bolis Pupul), de la polyphonie nippone (Hatis Noit) et “le meilleur jam band du monde” (The Dwarfs of East Agouza).
Pas de sorties disques, parce que la newsletter est déjà vachement longue mais je réfléchis à un format plus court avec l’agenda et les sorties disques pour les semaines sans émission. Écoutez Kate NV néanmoins.
The Locomotion est disponible sur Spotify!
Via le site de Radio Campus Paris, les épisodes de The Locomotion sont partagés sur les applis de podcast et sur Spotify.
L’algo de Spotify est toujours un peu tendu et incertain sur l’utilisation de la musique donc on verra combien de temps les épisodes resteront en ligne. Chaque semaine, j’uploade un épisode, en version courte, sans agenda et sans sujet secondaire.
Pour le moment, il n’y a donc que les épisodes avec Tarta Relana et Roxane Métayer. San Salvador un peu plus tard dans la semaine. D’après mes calculs, nous aurons rattrapé notre rythme de croisière avant Pâques.
Prochainement dans The Locomotion: Florist!
Oui, le groupe de folk US. Avant leur concert au Botanique le 20 mars. Donc une interview, peut-être, mais par Zoom. Diffusé le 23 mars à 15h sur Radio Panik (105.4 FM).
Prochaine émission sur Radio Campus Paris : Ventre de Biche et Cecilia da Colonia, le 17 mars à 22h30 sur le 93.9 FM.