San Salvador: "Revendiquer la contemporanéité, refuser le folklorisme"
Une interview avec le chœur occitan pour le troisième épisode de The Locomotion
Pour le troisième épisode de The Locomotion, déjà disponible en podcast sur Radio Panik, j’ai interviewé San Salvador, un chœur polyphonique de Corrèze.
Alors en concert en novembre dernier chez Muziekpublique, j’ai parlé avec Gabriel Durif (leur directeur artistique) du renouveau de la musique populaire en France, de culture occitane, de leurs influences et de leur travail d'adaptation. Vous pouvez écouter l’échange en podcast agrémenté d’une playlist de leurs morceaux et leurs influences.
Pour cette édition augmentée du troisième épisode de The Locomotion, je vous offre une newsletter si longue qu’elle a besoin d’un sommaire. Après une rapide présentation du lieu, vous pouvez également lire une retranscription des échanges, facile à trouver entre les deux photos. Ensuite, retrouvez l’agenda de The Locomotion ainsi que la playlist augmentée de l’épisode avec des liens pour écouter ou acheter les différents albums cités pendant l’épisode. Pour finir avec la version traduite de l’hommage à Tom Verlaine par Patti Smith et un teasing pour les deux prochains épisodes. Bonne lecture.
Mais qu’est-ce que c’est Muziekpublique ?
Muziekpublique, est un centre dédié aux musiques du monde, de préférence acoustiques et dites “traditionnelles”. Ils et elles des concerts au Théâtre Molière, situé dans la galerie de la Porte de Namur mais organisent également plusieurs festivals dans Bruxelles. C’est aussi un label avec une ou deux sorties par an. La dernière en date : un fascinant collectif de musique flamande qui s’appelle Toasaves. Vous pouvez également apprendre ou approfondir l’usage d‘instruments et techniques de musique populaire.
Cinq questions à San Salvador
Quelles sont vos relations avec le label Pagans ?
Des relations amicales ! On les connait depuis très longtemps. Ils sont implantés dans le sud de la France, vers la frontière espagnole, à Pau, dans les Pyrénées. Ils ont démarré avant nous et ont donc ouvert pas mal de voies. D’abord musicalement, sur comment on se ré-empare des musiques populaires, puis ensuite, comment on structure les aventures de production. Au moment de faire le disque, cela faisait sens de renforcer les outils qu’ils avaient inventés et de ne pas faire les choses dans notre coin.
Vous n’utilisez que des percussions comme seul accompagnement. Est-ce que c’est un choix esthétique ou du respect des traditions de la musique occitane ?
La musique occitane est un concept très complexe, voire fuyant. Il n'y a pas vraiment de règle à respecter. Historiquement, la polyphonie n'existe pas, à part dans le Béarn ou dans la région de Nice. Dans la grande majorité de l’Occitanie, il n’y avait pas de chant collectif. Ce qui nous a intéressé, c’était de revenir à un art extrêmement rudimentaire. Quand vous êtes dans le dénuement, il ne vous reste que vos voix et quelque chose sur quoi taper : un bout de table, tout ce qui passe... Il y a plusieurs années, au départ du projet, nous avions d‘autres instruments. Puis au fur et à mesure, notre envie a été de retirer plutôt que de de rajouter, pour obtenir un résultat le plus organique possible.
Parlons des textes et de votre travail d'adaptation. Comment vous arrivez à composer des morceaux de presque 15 minutes ?
Le texte est souvent premier. On cherche au cœur du répertoire - il y a plein de textes qu’on élimine - mais dès qu’on trouve une chanson qui paraît résister au voyage dans le temps, on s’attelle à une écriture un peu tout azimut, avec souvent plusieurs arrangements. On construit tout un patchwork de propositions. Et on organise une restitution. En fonction de ce que la dramaturgie de la chanson suggère, on peut vouloir insister sur une situation, une phrase, sur un mot, revenir en arrière dans les chansons… On voyage à l’intérieur de cette poésie et on essaye de lui donner vie en musique.
Quel est le poids des institutions sur la promotion des musiques traditionnelles ?
Il y a effectivement un mouvement qui existe depuis la création des grandes régions, et notamment dans la volonté de soutenir la langue [occitane]. La région Occitanie par exemple a une vraie volonté de soutenir “les cultures régionales”. En Nouvelle-Aquitaine aussi. On a plutôt essayé d’éviter de se frotter à ça. Je trouve que c’est un peu enfermant. On s’est battus pour ne pas être le 1% de diversité dans une programmation. On est programmé parce que l'on touche les gens, qu’ils parlent occitan ou pas, qu’ils s’intéressent aux musiques populaires ou pas…
Est-ce que vous vous sentez les héritiers du revival folk des années 70 ou vous avez envie de casser les codes ?
Je pense qu’il faut manier tous les concepts avec beaucoup de légèreté. A cette époque-là, les musiques populaires se proposaient aussi comme un espace pour penser les alternatives politiques et culturelles de la société. Pendant un laps de temps, assez long, ces musiques populaires se sont enfermées dans un académisme et une institutionnalisation. Elles n’étaient plus en contact avec la société ou la jeunesse. Je crois que c’est pour ça qu’il y a un espèce de regain : nous et tous les gens qui font ces musiques en ce moment là en France, avons pu renouer avec ce chemin-là.
Il y avait quelque chose de très intéressant dans la période du revival des années 70 qui était de revendiquer l’absolue contemporanéité de l'acte artistique et de refuser le folklorisme. Modestement, je pense que toute cette mouvance-là, dont nous faisons partie, a peut-être réussi à reproduire ce sentiment. Sans se comparer à la situation politique des années 70, notre musique trouve un intérêt chez les gens qui ont envie d’un retrait d’une forme dégueulasse de mondialisation, de capitalisme, de libéralisme… La musique devient un refuge.
Écoutez le podcast en entier si vous voulez m’écouter geeker sur la reconstruction de Saint Malo.
L’agenda bruxellois de The Locomotion
10 février : le mini-festival Divagation continue ce soir à la Centrale Volta, une ancienne imprimerie transformée en lieu de concert pour un soir. Avec Satin 2000, Louis Louis, Chloe Eclipse, Lia et un invité surprise.
16 février : Colombey + Ventre De Biche + Clara Le Meur - Recyclart
Un plateau exceptionnel à prix libre au Recyclart. Avec Colombey, le groupe punk crépusculaire de TG Gondard, la new wave urbaine dérangée de Ventre de Biche et la pop lo-fi de Clara Le Meur (déjà vue avec Divagation).
17 février : Grande Rousse Disques - Un Peu
Un label de musiques électroniques cheapos du nord-est de la France, avec les formations Megaviolet, Xaxi et Anemone.
17 février : Arlt (qui mélange musique et théâtre) est programmé à Le Lac
18 février : L’Argousier + Charlène Darling - Sterput
Le duo de Lille vient juste de sortir son deuxième album et on en parle avec elles au prochain épisode. Le concert se déroule à la galerie Sterput, pendant l'expo de Delphine Sommers et Camille Bertagna. En première partie : Charlène Darling ! Il y aura également une expo flash d'Aurélie Grasser Rifi Saidi.
18 février : Valentina Magaletti + Sholto Dobie - Les Ateliers Claus
La batteuse expérimentale italienne basée à Londres, ça vaut vraiment le coup. En première partie, le multi-instrumentiste bruitiste Sholto Dobie.
La playlist augmentée de l’épisode 3
Six sur scène, trois hommes et trois femmes, le groupe San Salvador interprète des textes traditionnels en occitan, arrangés par leur soin avec seulement des percussions comme accompagnement.
Barrut est aussi un chœur polyphonique de Montpellier assez similaire à San Salvador puisqu’iels utilisent également des percussions comme seul accompagnement.
Brama un trio de rock assez technique de Chamboulive en Corrèze. On sent des grosses influences rock psyché. Évidemment ils chantent en occitan avec un gars à la vielle à roue.
Pour aller plus loin sur la musique occitane
Approfondissez le sujet avec un épisode entier sur la scène actuelle de la musique Occitane dans Mappemonde, l’émission géographique et musicale de Radio Campus Paris. Un de de leurs meilleurs. Vous pouvez également écouter cette super compilation du label La Souterraine.
La Tène vient tout juste de sortir un excellent album chez les Disques Bongo Joe. Deux morceaux assez succincts, selon les critères du groupe rhône-alpin, mais également arrangés plus délicatement que d’habitude, même si l’on reste toujours dans le domaine du drone médiéval. Définitivement leur sortie la plus accessible.
Pour une plongée dans le revival folk des années 70, jetez une oreille à : Malicorne, Emmanuelle Parrenin, Catherine Ribeiro + Alpes, Dan Ar Braz…
Pour un point de vue catalan sur le renouveau de la musique traditionnelle, je vous renvoie vers le premier épisode de The Locomotion avec Tarta Relana, un duo polyphonique de Barcelone.
Les autres sorties disques
Mac DeMarco - Five Easy Hot Dogs
Enregistré sur la route dans le Pacific North-West, une collection de perles instrumentales par le roi du chill.
Orval Carlos Sibelius - Territoire de l’inquiétudes
Après le très beau Ordre et Progrès, le retour triomphal de l’homme à la voix d’or.
Kali Malone - Does Spring Hide Its Joy
Trois heures de drone en formule trio avec Stephen O’Malley de Sunn O))) et la violoncelliste Lucy Railton. Exigeant et étrange.
L’Argousier - Diluer
On en parlera évidemment un peu plus en longueur dans le prochain épisode mais le deuxième album du duo de Lille vient de sortir et il est vachement bien.
Cecilia Da Colonia - démos #1
Quatre morceaux de folk lo-fi délicats et touchants. C’est déjà son troisième EP, il faut qu’iel sorte un album maintenant.
“Il était Tom Verlaine” par Patti Smith
Cela commence à être une habitude, on finit cette émission par un hommage à un musicien récemment décédé.
Né Thomas Joseph Miller, le 13 décembre 1949 dans le New Jersey mais élevé à Wilmington, Delaware. Tom Verlaine était savant tout un grand représentant de la scène de New York des années 70. Un guitariste de génie, un chanteur formidable. Tom Verlaine a sorti quelques disques solos mais on se souviendra surtout de son groupe culte Television, un des rares groupes qui avaient prédit l'avènement du punk à New York avant son explosion. En 1977, ils sortent Marquee Moon, un de mes albums préférés de la terre entière.
Il a également enregistré et tourné avec Patti Smith. Voici donc un extrait traduit par mes soins de ce qu’elle a écrit dans le New Yorker quelques jours après sa mort :
C'était la nuit de Pâques, le 14 avril 1974. Lenny Kaye et moi avions fait un rare trajet en taxi depuis le Ziegfeld Theatre après avoir vu l’avant-première de Ladies and Gentlemen: The Rolling Stones, directement au Bowery pour voir un nouveau groupe appelé Television.
Le club était le CBGB. Il n'y avait qu'une poignée de personnes présentes, mais Lenny et moi avons été immédiatement séduits, avec sa table de billard, son bar étroit et sa scène basse. Ce que nous avons vu cette nuit-là était proche, notre avenir, une fusion parfaite de poésie et de rock and roll. En regardant jouer Tom, je me suis dit : Si j'avais été un garçon, j'aurais été lui.
J'allais voir Television à chaque fois qu'ils jouaient, surtout pour voir Tom, avec ses yeux bleu pâle et son cou de cygne. Il baissait la tête, agrippant sa Jazzmaster, libérant des nuages gonflés, d'étranges ruelles peuplées d'hommes minuscules, une volée de corbeaux et les larmes des passereaux se précipitant à travers une réplique de l'espace. Tout transmué par ses longs doigts, étranglant presque le manche de sa guitare.
Il dévorait de la poésie et des beignets d'Entenmann enrobés de chocolat noir, arrosés de café et de cigarettes. Parfois, il semblait rêveur et lointain puis éclatait soudain de rire. Il était angélique mais légèrement démoniaque, un personnage de dessin animé avec la grâce d'un derviche. Je le connaissais alors. Nous aimions nous tenir la main, passer des heures à parcourir les étagères de Flying Saucer News, aller à la quarante-huitième rue pour regarder des guitares qu'il ne pourrait jamais se permettre, prendre le ferry de Staten Island après trois sets au CBGB, monter six volées d'escaliers jusqu'à l'appartement sur East Eleventh Street et allongés ensemble sur un matelas, regardant le plafond, écouter la pluie mais entendre tout autre chose.
Il n'y avait personne comme Tom. Il possédait le don enfantin de transformer une goutte d'eau en poème.
Prochainement dans The Locomotion
Dans les prochains épisodes, on aura droit à des interviews de Ventre de Biche et L’Argousier, mais pas forcément dans cet ordre.
Prochaine diffusion sur Radio Campus Paris (93.9 FM) : le 24 février à 22h30 avec l’interview de San Salvador et un de ces deux groupes.