Toad : "Le folklore, c’est de la muséification"
Une interview très politique du trio Toad (et Tal Coal), enregistrée pendant la fête de la Nòvia aux Instants Chavirés.
Dans le lore de The Locomotion, j’aime à penser qu’il y a une série d’épisodes qui forment une histoire secrète au sujet du renouveau des musiques traditionnelles en France. Un sujet qui me tient à cœur depuis quelques années et qui me donne envie de multiplier les interviews comme on capture des pokemons : il y a eu San Salvador, maintenant Toad, bientôt Barrut) mais aussi en Europe… enfin en Catalogne avant tout avec Tarta Relena ou Za!. Très bientôt, on parlera également de La Tène. J’espère que ça vous plait.
Live from Montreuil
Une fois de temps en temps, quand je pars enregistrer un groupe, un truc affreux se produit : en plein milieu de la discussion, je regarde vers mon fidèle Zoom H6 et je m’aperçois que la lumière rouge indiquant un enregistrement en cours n’est pas allumée. Alors, deux solutions s’offrent à moi. Je préviens l’interviewé.e et on refait quelques questions, comme c’était le cas pour Suzan Peeters.
Ici, dans la salle de réunion des Instants Chavirés, entouré par 5-6 personnes du collectif, j’ai opté pour la deuxième option : je fais un lancer de discrétion et j’appuie sur le bouton rec en espérant que la discussion dure assez longtemps pour avoir assez de matos pour l’émission. Réussite : je suis repartie avec une bonne demi-heure de son où l’on a parlé de leur musique, de subventions et de vielle à roue, mais également du collectif la Nòvia en lui-même.
“Avec la Novia, on essaye de mettre en place une utopie, un endroit qui nous semble plus juste. On essaye de mettre en place des systèmes les plus égaux et les plus équitables possibles”.
Guilhem Lacroux, Toad
Parmi les bribes de discussion disparues dans l’ether pour toujours, il y avait la genèse de l’évènement qui me servait d’excuse pour enfin aller interviewer des membres du collectif la Nòvia. En juillet dernier, le collectif La Nòvia organisait trois jours de fête aux Instants Chavirés à Montreuil, la Mecque des musiques expérimentales en Ile-de-France.
Si je me souviens bien, ce n’est pas la première fois que le collectif organisait ce genre de rassemblement mais c’est la première fois que celui-ci était accessible en métro. Il y eu un grand bal sous la halle des Instants Chavirés où tous les membres présents jouaient ensemble des airs de chez eux. Les gens dansaient des danses traditionnelles à base de cercle. Il faisait extrêmement chaud, c’était beau. Il y a eu aussi du théâtre et des performances solos dans le Montreuil boisé, mais j’ai pas vu. Puis, il y a eu le concert, tout aussi caniculaire. Toad se produisait ce soir là avec le duo Violoneuses et Jacques Puech en solo.
Toad c’est un trio dont la musique, aussi inhospitalière qu'envoutante, est fortement inspirée par les musiques traditionnelles du centre de la France. Toad se compose de Pierre-Vincent Fortunier à la cornemuse et au violon, Yann Gourdon à la vielle à roue et Guilhem Lacroux à la guitare (qu’on retrouvera dans La Tène). Si vous rajouter Basile Brémaud au chant, vous obtenez le groupe la Baracande dont le dernier album est sorti en juillet dernier.
Dans la discographie de Toad, tous les albums s’appellent Toad. Donc pour les différencier on utilise l’année de sortie. Si Toad a commencé par jouer des morceaux de bal (Toad, 2009), ils se sont mis à très vite dépassé le cadre des musiques traditionnelles pour y inclure des répétitions (Toad, 2011). Guilhem dit même à un moment qu’il a “l’impression de s’être mis à faire sonner les interstices” en mélangeant plusieurs morceaux en un (Toad, 2014) jusqu’à produire des morceaux beaucoup plus longs qui prennent toute la face du vinyle (Toad, 2018).
“Les graves et les basses sont quelque chose de très physique qui provoquent le mouvement. Alors que les médiums, qui est effectivement le spectre sur lequel on va le plus jouer, vont plus affecter l’esprit jusqu’à générer une forme d’ivresse”.
Yann Gourdon, Toad
Maud Herrera, l’invitée spéciale
Pendant l’interview, il y avait aussi Maud Herrera, l’invitée spéciale du bal de la Nòvia, qui allait et venait pour ajouter son grain de sel dans les échanges. Membre du collectif Hart Brut, elle produit de la musique sous le nom de Tal Coal. Et je sais de source sûre que son premier album est bientôt prêt. En attendant d’avoir un extrait, vous pouvez regarder cette vidéo de Territoires, la série sur les musiques de France de Priscilla Telmon et Vincent Moon (la Blogothèque).
“Cela me rappelle une anecdote un peu triste : Olivier Durif venait de présenter des collectages de violoneux au Conseil Général, et ils avaient répondu “qu’est-ce que c’est que cette musique d’arabes ?". Alors que moi, c’est ce que j’aime dans cette musique. En découvrant des musiques aussi belles et dissonantes, je me suis que la blanchité de la France n’était pas celle que l’on m’avait dite”.
Maud Herrera, Tal Coal
Olivier Durif est musicien (notamment sur ce classique de 1979, signé Le Grand Rouge), auteur et fondateur du centre régional de musiques traditionnelles du Limousin. C’est également le daron du tiers de San Salvador, les nepo-babies des musiques trad’.
Enregistré la même semaine que la révolte des quartiers populaires en France suite aux violences policières et le même mois que la dissolution des Soulèvements de la Terre, il en résulte un entretien très politique où Yann Gourdon avoue que “ces quelques derniers mois [le] mettent profondément en colère. On arrive à un déni de démocratie assez extrême”. Je vous laisse découvrir le reste de leur réflexions sur l’écologie, le fascisme ou la capitalisme, mais également un débat sémantique sur le terme “musique traditionnelle”.
“Le folklore c’est de la muséification : figer des pratiques vivantes. Les musiques traditionnelles sont bien loin de ça. Par exemple, contrairement aux instruments classiques, nos instruments sont en perpétuelle évolution…”
Guilhem Lacroux, Toad
Comble de la malchance, les cinq dernières minutes de la discussion, qui abordent de manière assez bon enfant la cornemuse de Pierre-Vincent Fortunier et son rôle au sein du groupe, sont tout aussi inutilisables que le début à cause d’un câble défectueux. Mais le podcast en version longue se termine sur trois minutes de Yann Gourdon qui parle de sa vielle à roue motorisée. Alors ça va.
Dans le prochain épisode de The Locomotion
Une interview avec la violoncelliste Mabe Fratti, originaire du Guatemala, mais vivant à Mexico, qui se produisait en août dernier sur la scène du festival Feeërieën organisé dans le Parc Royal par l’Ancienne Belgique.
L’épisode a déjà été diffusé sur Radio Panik et sera diffusé sur Radio Campus Paris le lundi 23 octobre à 22h30. Disponible en podcast très bientôt.